Les jours de Ramadân défilent et son terme arrive inéluctablement. C’est pourquoi, autant que faire ce peu, il convient d’anticiper les questions nécessaires à la réalisation de ce qui nous incombe à titre obligatoire, à savoir, l’acquittement de zakât al-Fitr (aumône légale de la rupture).
L’agenda polémique désormais devenu chronique nous contraint chaque année à nous interroger sur la nature de cette zakât al-fitr (argent ou denrées, et si oui quelles denrées, etc.). Nous aimerions ici attirer l’attention du lecteur sur un autre point qui est celui du moment de son acquittement :
à partir de quand pouvons-nous nous acquitter de la zakât al-fitr ?
- Quel est le moment à partir duquel il devient obligatoire de s’en acquitter ?
- Est-il permis de l’avancer vis à vis de ce moment dans l’école malikite ?
- Qu’en est-il des autres écoles ?
- Finalement, quel est le mieux que l’on puisse faire ?
Si le propos s’adresse avant tout à celles et ceux qui ont coutume d’adopter les positions malikites en matière de religion, la mention des avis extérieurs à l’école pourra en rassurer plus d’un. Toutefois, nous conseillons à celles et ceux qui ont adopté une école juridique de s’y tenir tant que cela ne suscite pas une difficulté jugée légitime. De même, cet article n’a pas prétention à évoquer en détail les modalités d’application en vigueur dans les trois autres écoles, pour cela il convient de se référer aux personnes compétentes en la matière. Enfin, rappelons que la lecture d’articles de ce genre ne saurait se substituer à l’étude d’une discipline auprès d’un enseignant de façon durable.
- L’obligation de s’acquitter de la zakât al-fitr commence avec le coucher du soleil (maghrib) du dernier jour de Ramadân selon un des deux avis retenu dans l’école, de même pour l’imam Shâfi’i et l’imam Ahmed. Selon le second avis retenu dans l’école et l’imam Abu Hanîfa, c’est à partir du lever de l’aube (fajr) du jour d’al-‘îd.
- Si dans l’école malikite il est permis d’avancer son acquittement d’un ou deux jours avant al-‘îd, il en est de même pour l’imam Ahmed b. Hanbal. Ainsi, pour nous qui adoptons les avis de l’école malikite, avancer de plus de deux jours serait interdit et invalide. Dès lors, sur quoi se basent ceux qui invitent à s’en acquitter plus tôt ? Sache que l’imam Shâfi’i a autorisé sa sortie depuis le début de Ramadân. Enfin, dans l’école hanafite, ce par quoi est faite la fatwâ est la possibilité de s’en acquitter dès l’entrée du mois de Ramadân.
- Quant au meilleur moment auquel il est préférable (mandûb) de s’en acquitter c’est après l’aube (fajr) et avant la prière collective d’al-‘îd. Et ce, en vertu du hadith d’Abdullah b. ‘Umar (qu’Allâh l’agréé).
1° Quel est son temps d’obligation ?
La zakât al-Fitr est une obligation individuelle pour celles et ceux qui sont concernés. Mais à partir de quand cette obligation prend-elle effet ? A ce sujet, deux avis sont connus dans l’école malikite. Premièrement : à partir du coucher du soleil (al-maghrib) au terme du dernier jour du mois de Ramadân. C’est l’avis de Mâlik selon la narration d’Achhab, et l’avis d’Ibn al-Qâsim. Deuxièmement : à partir de l’aube (al-fajr) du jour d’al-‘îd al-Fitr (c’est-à-dire le premier jour du mois de Chawwâl). C’est l’avis de Mâlik selon la narration d’Ibn al-Qâsim. Sâwî dans sa glose sur le Charh al-Saghîr de Dardîr énonce le fait que les deux avis ont pu être considérés machhûr [1]P.104 Dar al-Fadîla.
Qu’en est-il dans les autres écoles ? A ce sujet, Ibn Juzay dans al-Qawânîn al-Fiqhiyya dit la chose suivante :
Pourquoi a-t-on divergé sur cette question ? Pour comprendre cela, référons-nous aux propos d’Ibn Ruchd (le petit-fils) dans son Bidâyatu-l-mujtahid [3]P.271, Dar Maktaba al-Ma’ârif consacré à la compréhension des causes de divergence. Il dit :« Le moment de son obligation est : le coucher du soleil de la nuit d’al-Fitr selon le machhûr en accord avec la position d’al-Shâfi’î [et d’Ahmad]. Et on a pu dire : le lever de l’aube (al-fajr) du jour d’al-Fitr en accord avec la position d’Abû Hanîfa. »[2]P.205, Dar Ibn Hazm.
« Ils se sont accordés sur le fait qu’elle est obligatoire à la fin de Ramadân en vertu du hadith d’Ibn ‘Umar : « Le Messager d’Allâh a instauré la zakât al-Fitr (de la rupture) de Ramadân ». Et ils ont divergé sur la détermination du temps. (…) La cause de leur divergence est la suivante : est-ce une adoration liée au jour d’al-‘îd ou bien à la sortie du mois de Ramadân ? Car la nuit d’al-‘îd ne fait pas partie de Ramadân. » [4]Sâwî explique également : « Le premier avis (correspondant au coucher du soleil) est bâti sur le fait que la « rupture (al-fitr) » désignée dans le hadith : « Le Messager d’Allâh a instauré l’aumône d’al-Fitr (de la rupture) de Ramadân » n’est autre que la rupture permise qui est celle du coucher du soleil à la fin de Ramadân. Tandis que le second avis (correspondant à l’aube) est bâti sur le fait que le sens voulu est la rupture obligatoire dont le temps n’est autre que le lever de l’aube. » Hâchiya Sâwî ‘alâ Charh Saghîr P.105 Dar al-Fadîla. Effectivement, le jeûne est interdit le jour d’al-‘îd, donc la rupture y est obligatoire dès lors que la journée commence, c’est-à-dire au moment du fajr.
2° Peut-on l’avancer de son temps d’obligation ?
Est-il possible de s’acquitter de notre zakât al-fitr avant l’entrée du Maghrib du dernier jour de Ramadân (dès lors que l’on retient cet avis parmi les deux évoqués plus haut) ? A ce sujet, les textes de l’école évoquent la possibilité de le faire si cela ne dépasse pas deux jours avant le jour d’al-‘îd.
C’est pourquoi le Cheikh Dardir lorsqu’il commente à travers son Charh al-Saghîr son propre épitre Aqrab al-Masâlik il dira :
« Et [il est permis] de la sortir avant al-‘îd de deux jours [et pas plus]. » [5]P.110 Dar al-Fadîla
Concernant l’expression « et pas plus (lâ akthar) », Sâwî commentera : Contrairement à al-Jallâb qui a permis sa sortie trois jours avant. »Dans al-Muwatta, Mâlik rapporte d’après Nâfi’ que « ‘Abdullah b. ‘Umar envoyait l’aumône de la rupture du jeûne à celui chez qui elle était réunie, deux ou trois jours avant la rupture. » [6] P.363, Maison d’Ennour. Malgré cette divergence, c’est la limite de deux jours qui est retenu. Ainsi, lorsque Saftî commente Ibn Turkî qui évoquait « deux ou trois jours », il dira :
« Quant à sa parole « et trois jours », le plus juste est de supprimer la mention « et trois jours » car la Mudawwana s’est restreinte à deux jours. » [7]P.202, Dar Ibn Hazm.
Le statut est donc l’autorisation d’avancer jusqu’à deux jours, et cela sans conditions particulières [8]Il faut pourtant savoir que les savants de l’école ont divergé sur la présence ou non de restriction quant à l’autorisation d’avancer de deux jours. Est-ce une autorisation absolue ? Ou bien ne concerne-t-elle que celui qui remet sa zakât al-Fitr à une autorité, organisation ou tierce personne afin de la redistribuer aux bénéficiaires ? A ce sujet Khalîl dans son Mukhtasar évoque la divergence sans trancher. Ce que ne manquera pas de faire Dusûqî en guise de commentaire des propos de Dardîr dans le Charh al-Kabîr en disant que c’est le caractère absolu de cette permission qui est retenu : « [Concernant la parole de Khalîl « deux interprétations » :] le râjih des deux est le premier et c’est la compréhension d’al-Lakhmî de la Mudawwana, et sur cela est la majorité, quant au second c’est la compréhension d’Ibn Yûnus. » P.369, Al-Maktaba al-‘Asriyya.. C’est-à-dire peu importe que l’on se charge de distribuer soi-même notre zakât al-fitr ou que nous recourions à une organisation.[9]Saftî résume élégamment cette divergence : « Est-ce que cette permission est absolue – dans ce cas peu importe que s’en acquitte son détenteur pour la distribuer ou le gouverneur ou autre qu’eux deux, et c’est le mu’tamad (l’avis retenu) comme indiqué [chez Cheikh al-‘Adawî] – ou bien la permission évoquée ne concerne que s’il l’a donne à celui qui va procéder à la redistribution. (…) Et la divergence concerne le cas où le pauvre la consomme avant le moment de l’obligation, quant à si elle reste en sa possession jusqu’au moment où cela est obligatoire, alors c’est valide par ittifâq (sans divergence dans l’école). » P.202, Dar Ibn Hazm.
3° Qu’en disent les autres écoles ?
Ainsi, il n’est pas permis ni valide d’avancer l’acquittement de la zakât de plus de deux jours avant al-‘îd selon l’avis faisant autorité dans l’école malikite. Alors, vous diriez-vous, pourquoi certains organismes nous invitent-ils à le faire alors que le mois de Ramadân vient à peine de commencer ? Y a-t-il des divergences en la matière au sein des autres écoles ? Cela est effectivement le cas.
Dans l’école malikite il est permis d’avancer jusqu’à deux jours avant al-‘îd maximum, et il en est de même pour l’imam Ahmed b. Hanbal [10]Hâchiya rawd al-murbi’, p.281 : « Et il informe par sa parole « de deux jours uniquement (faqat) » que ce n’est pas valide avant ces deux jours. » Et dans Charh al-mumti’ ‘alâ zâd al-mustaqni’, p.170, Dâr Ibn al-Jawzî : « Question : et s’il sort la zakât al-Fitr le 27ème jour et que le mois de Ramadân se révèle complet (30 jours), est-ce que cela est valide ? La réponse : ce n’est pas valide, il est comme celui qui a prié avant le temps avec la présomption que le temps était entré. » Tandis que dans al-‘Udda fî charh al-‘umda p.199 : « et il est permis de l’avancer de deux ou trois jours. » Et dans al-Insâf p.178, on trouve mention que l’avis de l’école est deux jours, puis il évoque d’autres avis de second plan : trois jours, puis quinze jour, puis le début du mois.en vertu de la parole d’Ibn ‘Umar « et ils donnaient avant al-Fitr d’un ou deux jours »[11]Al-Bukhârî n°1511.. L’imam Shâfi’i quant à lui a autorisé sa sortie depuis l’entrée du mois de Ramadân. Enfin, dans l’école hanafite, ce par quoi est faite la fatwâ est la possibilité de s’en acquitter dès l’entrée du mois de Ramadân, tandis qu’un second avis de poids permet de devancer son acquittement de façon absolue même plusieurs années avant par analogie avec ce qui est en vigueur chez eux concernant zakât al-mâl.[12]Radd al-mukhtâr (Hâchiya) Ibn ‘Âbidîn, p.322-323, Dâr ‘âlam al-kutub.
4° Quel est le mieux que je puisse faire ?
Il est déconseillé (khilâf al-awlâ) de la retarder après la prière d’al-‘îd.[13]Saftî, p.201, Dâr Ibn Hazm.Et il est interdit (harâm) de la retarder après la prière d’al-maghrib qui suit. Si cela venait à arriver, cela incombera malgré tout à la personne en tant que dette jusqu’à ce qu’il s’en acquitte, et ce même après plusieurs années[14]Al-Fiqh al-mâlikî wa adillatuhu, p.71, Mu-assasa al-ma’ârif., car c’est un droit du pauvre.
Quant au meilleur moment auquel il est préférable (mandûb) de s’en acquitter c’est après l’aube (fajr) et avant la prière collective d’al-‘îd. Et ce, en vertu du hadith d’Ibn ‘Umar : « Le Messager de Dieu a ordonné de payer la zakât al-Fitr avant que les gens ne se rendent à la prière. »[15]Al-Bukhârî et Muslim
Notes de bas de page[+]
↑1 | P.104 Dar al-Fadîla |
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↑2 | P.205, Dar Ibn Hazm |
↑3 | P.271, Dar Maktaba al-Ma’ârif |
↑4 | Sâwî explique également : « Le premier avis (correspondant au coucher du soleil) est bâti sur le fait que la « rupture (al-fitr) » désignée dans le hadith : « Le Messager d’Allâh a instauré l’aumône d’al-Fitr (de la rupture) de Ramadân » n’est autre que la rupture permise qui est celle du coucher du soleil à la fin de Ramadân. Tandis que le second avis (correspondant à l’aube) est bâti sur le fait que le sens voulu est la rupture obligatoire dont le temps n’est autre que le lever de l’aube. » Hâchiya Sâwî ‘alâ Charh Saghîr P.105 Dar al-Fadîla. Effectivement, le jeûne est interdit le jour d’al-‘îd, donc la rupture y est obligatoire dès lors que la journée commence, c’est-à-dire au moment du fajr. |
↑5 | P.110 Dar al-Fadîla |
↑6 | P.363, Maison d’Ennour |
↑7 | P.202, Dar Ibn Hazm. |
↑8 | Il faut pourtant savoir que les savants de l’école ont divergé sur la présence ou non de restriction quant à l’autorisation d’avancer de deux jours. Est-ce une autorisation absolue ? Ou bien ne concerne-t-elle que celui qui remet sa zakât al-Fitr à une autorité, organisation ou tierce personne afin de la redistribuer aux bénéficiaires ? A ce sujet Khalîl dans son Mukhtasar évoque la divergence sans trancher. Ce que ne manquera pas de faire Dusûqî en guise de commentaire des propos de Dardîr dans le Charh al-Kabîr en disant que c’est le caractère absolu de cette permission qui est retenu : « [Concernant la parole de Khalîl « deux interprétations » :] le râjih des deux est le premier et c’est la compréhension d’al-Lakhmî de la Mudawwana, et sur cela est la majorité, quant au second c’est la compréhension d’Ibn Yûnus. » P.369, Al-Maktaba al-‘Asriyya. |
↑9 | Saftî résume élégamment cette divergence : « Est-ce que cette permission est absolue – dans ce cas peu importe que s’en acquitte son détenteur pour la distribuer ou le gouverneur ou autre qu’eux deux, et c’est le mu’tamad (l’avis retenu) comme indiqué [chez Cheikh al-‘Adawî] – ou bien la permission évoquée ne concerne que s’il l’a donne à celui qui va procéder à la redistribution. (…) Et la divergence concerne le cas où le pauvre la consomme avant le moment de l’obligation, quant à si elle reste en sa possession jusqu’au moment où cela est obligatoire, alors c’est valide par ittifâq (sans divergence dans l’école). » P.202, Dar Ibn Hazm. |
↑10 | Hâchiya rawd al-murbi’, p.281 : « Et il informe par sa parole « de deux jours uniquement (faqat) » que ce n’est pas valide avant ces deux jours. » Et dans Charh al-mumti’ ‘alâ zâd al-mustaqni’, p.170, Dâr Ibn al-Jawzî : « Question : et s’il sort la zakât al-Fitr le 27ème jour et que le mois de Ramadân se révèle complet (30 jours), est-ce que cela est valide ? La réponse : ce n’est pas valide, il est comme celui qui a prié avant le temps avec la présomption que le temps était entré. » Tandis que dans al-‘Udda fî charh al-‘umda p.199 : « et il est permis de l’avancer de deux ou trois jours. » Et dans al-Insâf p.178, on trouve mention que l’avis de l’école est deux jours, puis il évoque d’autres avis de second plan : trois jours, puis quinze jour, puis le début du mois. |
↑11 | Al-Bukhârî n°1511. |
↑12 | Radd al-mukhtâr (Hâchiya) Ibn ‘Âbidîn, p.322-323, Dâr ‘âlam al-kutub. |
↑13 | Saftî, p.201, Dâr Ibn Hazm. |
↑14 | Al-Fiqh al-mâlikî wa adillatuhu, p.71, Mu-assasa al-ma’ârif. |
↑15 | Al-Bukhârî et Muslim |